Bienvenue à Goreland ! [PV Ebénou]

Mal...

Depuis mon baptême de guerrière, bien des choses avaient changé. Etoile du Lynx et les autres chefs et guérisseurs étaient revenus, pour mon plus grand plaisir et au plus grand soulagement de tous, apportant avec eux LA plante contre les champignons. Enfin débarrassés de ces immondices !

Mais la situation avec la Meute de la Mort avait dégénéré. Jamais je n'avais pensé qu'ils iraient si loin. Se préoccupant plus de la source d'information que des autres Clans, ils avaient bloqué l'entrée à la Pierre de Lune, au plus grand désespoir des guérisseurs, puis commencé à envahir le Clan du Vent. Celui-ci, en manque de guerriers, n'avait rien pu faire (à part protéger les Clans). A présent, c'était le siège depuis une semaine. L'horreur. Nous commençions à être en manque de nourriture et de remèdes. Mon état était en chute libre. Alors qu'à mon arrivée j'étais à peu près capable de marcher même si je boitais, maintenant je n'arrivai plus à me lever, une étrange maladie me paralysant les jambes. Et dire que j'étais censée avoir la vie devant moi !

Museau Blessé était partie chercher quelques remèdes en se glissant derrière la Pouponnière. C'était la seule façon de sortir du camp sans se faire égorger. Nuage d'Ebène, elle, était toujours là. Elle triait le tas de plantes, ces dernières étant presque toutes immengeables, du moins selon moi. La chatte noire avait les côtes visibles et la grise mine.

Avec un petit mouvement de compassion, je me traîna jusqu'à elle. C'était la seule manière de me déplacer : ramper. Je la regardai, un défi dans les yeux. J'en avais marre d'être inutile et d'être un fardeau pour le Clan. Je commençai à m'épuiser progressivement, je ne pouvais que murmurer. Je poussais un tas de baies vers moi et marmonna :

- C'est les abîmées qu'on jette ?

Mal...

La jeune chatte ne me regardait pas, toujours concentrée sur son travail. Mais à quoi pensait-elle véritablement ? Ses yeux partaient dans le vague, presque larmoyants. L'ambiance morbide du camp frigidifié renforçait le sentiment d'abandon. Avait-elle imaginé avant de retrouver son Clan que la fin des champignons serait aussi la fin des problèmes ? Espérait-elle que le retour à la normale se ferait en douceur ? Croyait-elle qu'elle pourrait à nouveau vivre comme avant ?

Si c'était là le fond de sa pensée, elle s'était lamentablement fourvoyée. Mais combien d'autres avaient pensé la même chose ? Moi la première, j'avais une foi inébranlable envers les guerriers de jadis, convaincue que les voyageurs reviendraient et feraient disparaître tous nos maux. Certes, les voyageurs sont revenus et les champignons ont disparus, mais la situation est-elle vraiment meilleure ? A nouveau des problèmes, mais cette fois-ci nul signe des cieux et aucun espoir...

La gamine qui rêvait de réunir les Clans en un seul grâce au Clan des Etoiles n'était plus. A présent il ne restait d'elle plus qu'une guerrière affaiblie qui avait pourtant le même espoir : si les Clans ne faisait plus qu'un, la Meute de la Mort serait-elle vaincue ? Pourtant, il y avait eu une grande modification de pensée dans ce rêve inaccessible : alors qu'autrefois je comptai sur le Clan des Etoiles, maintenant je ne comptai plus que sur nous-même. Le Clan des Etoiles n'était pas un mythe, j'en étais sûre : sinon comment les voyageurs nous auraient sauvés des champignons et comment Mirage Obscur m'aurait retrouvée ? Mais de là à les vénérer, alors qu'ils nous faisaient subir tant d'horreurs...il faut être fou. Dites que j'avais perdu la foi si cela vous chante. Chacun son point de vue.

Lorsque je lui adressai la parole, Nuage d'Ebène se tourna vers moi. Je lus dans son regard qu'elle était touchée que je me préoccupe de choses bassement matérielles dans mon état. Elle hocha la tête, avant de prononcer d'une voix désemparée :

- On a presque plus de baies. C'est la crise...

Mon coeur se serra. Combien de temps allions-nous réussir à rester ainsi, assiégés ? Au bout d'une semaine nous étions déjà fatigués et épuisés, au bout de deux semaines serons-nous plus morts que vifs ? Après tout, c'était cela le but de Coeur de Sang : nous détruire sans avoir à se fatiguer, rien qu'en restant en faction devant notre porte...ah çà, cette chatte au coeur de pierre, elle ne perd rien pour attendre !

L'apprentie continua de me regarder, son expression reflétant la pitié et l'admiration. Je ne fus pas étonnée de l'entendre dire gentiment avec inquiétude :

- Tu n'as pas trop mal ?

Je fermai les yeux, me concentrant sur ma condition physique. Ou avais-je mal ? D'ou venait la maladie qui me rongeait de l'intérieur ? Les pattes...mes douloureuses pattes. On me les aurait coupé, je n'aurais pas eu plus de douleur que cela. Mon oeil, mon cher oeil droit...encore boursouflé et douloureux. Je préférai le garder fermé constament que de l'ouvrir car cela m'irritait atrocement l'oeil et le rendait rouge sang, cette couleur maudite ! Mes oreilles avaient par contre guéri, même s'il restait quelques cicatrices. Mes flancs et ma joue également, même si cette dernière se rouvrait de temps en temps quand d'un coup de canine mal adapté se retrouvait dans la plaie à moitiée guérie. Mais mon coeur, pardieu ! Etait-ce moral ou physique ? Je n'en savais rien, mais quelle souffrance ! Et tous ces douleurs réunis me donnaient envie de hurler. Rendez-moi mon corps jeune et beau !

Cachant mon malaise, je répondis dans un souffle :

- Pas trop mal, suffisemment bien pour aller jeter des baies. Je les mets dehors ?