Un étrange sentiment pour une sanguinaire [PV Douceur d'un Soir]

What can I do in this world ?

Le soleil s'était levé, tapant sur la tête des habitants de la Ferme. Parmie eux, une chatte siamoise leva un visage creusé par les cernes. On pouvait lire la fatigue et la tristesse dans ses yeux, nul ne pouvait douter qu'elle était profondément malheureuse et l'étincelle de la joie de vivre ne régnait pas en maître dans sa pupille. Grimaçant en observant les autres félins de la pièce, la chatte s'éclipsa. Elle venait de se rendre compte qu'il manquait une personne à l'effectif des troupes, en l'occurence sa fille Petite Brume.

Sortant de la masure, la guerrière fut éblouie par la lueur du soleil, faisait miroiter son pelage beige et chocolat. Les oiseaux chantaient et leurs couleurs vives réchauffaient le coeur de la jeune maman. Un mince sourire, qui venait de faire son apparition après des mois d'abscence, se dissipa rapidement.

En effet, Douceur d'un Soir venait de repérer une chatte noire aux yeux rouges. Connaissant parfaitement l'individu, elle l'évita soignesement avant de reprendre sa route; malgré que Coeur de Sang soit son chef, elle préférait ne pas avoir trop souvent affaire à elle en-dehors de ses missions quotidiennes.

Marchant avec souplesse, la chatte se dirigea vers un recoin à quelques mètres de la Ferme. S'asseyant auprès du garde-manger, la féline attendit patiemment. Elle n'eut pas à attendre longtemps d'ailleurs, car la personne que Douceur d'un Soir cherchait depuis qu'elle était réveillée venait de faire son apparition, une souris entre ses crocs. Admirative, l'ex-domestique poussa un sifflement appréciateur. A l'âge de sa fille, elle n'était même pas capable de boire son biberon sans un Bipède pour l'aider et elle ne connaissait pas le goût de la chair...

La petite avait l'air perturbée, et la mère s'en rendit bien compte. Etonnée, elle contempla sa fille. Si le nouveau bourreau du Clan de la Mort avait quitté son Bipède et sa maison bien chaude, c'était pour que ses enfants connaissent la vie sauvage, pas pour qu'ils soieht malheureux. Si ils n'avaient pas existés, elle ne serait pas sortie de son trou.

Petite Brume releva timidement la tête, comme pour reprendre le contrôle d'elle-même après avoir poussé un petit " Maman ?" plaintif. Baissant les yeux, inquiète, la dénommée répondit d'un air réconfortant :

- Oui ma petite Brume en sucre ? Qu'est-ce qui t'a mis dans cet état ?

Nothing.

La petite tremblait de tous ses membres. Chaque petite particule, au lieu de se laisser aller au gré de la brise, s'agitait dans un ryhme défini, comme si une onde passait et repassait inlassablement sur son pelage. Voilà pourquoi on parlait de la "danse de la mort" : parce que sur le sujet et sur l'exécuteur se mettait en marche une mélodie endiablée impossible à rompre, sauf au moment final et décisif qui entraînait l'incapacité de continuer la ronde chez le sujet, du moins plutôt la victime.

Tuer, il fallait une raison à cela. Pour détruire, il fallait avoir quelque chose à prendre chez les autres. Par exemple, quand un chat tue une souris, il le fait par nécessité : il a besoin de la chair de la souris pour survivre. Ici, l'exécuteur est conduit par des besoins physiques à l'acte. Il y a quelque chose à prendre à la souris, et pour lui prendre sa chair il doit la tuer et donc lui retirer la vie.

Dans le cas de Coeur de Sang, à tout hasard, la situation n'était pas la même. Paradoxalement, elle le fait par nécessité mais également par pur plaisir : elle a donc plusieurs raisons et non pas une seule. Première différence. Deuxième différence : elle n'a pas besoin de la chair du chat, ni aucune autre partie de son corps -heureusement qu'elle n'est pas cannibale...-. Le besoin n'est donc pas physique mais psychique. Voilà ce qui différencie un assassin et un être sain.

En l'occurence, Douceur d'un Soir était à classer dans la catégorie "assassin". Elle avait tué, certes. Une seule fois, mais cette unique fois ne serait peut-être pas la dernière. Coeur de Sang tuait parce qu'elle était jalouse de tous ces chats, cela la rendait maladive, elle ne supportait pas l'idée de bonheur. Chez la chatte siamoise, le problème était autre. La féline avait tué par vengeance.

Qui était passé sous ses crocs et n'en était pas revenu, me demandez-vous ? Son ex-compagnon. Classique, peut-être. Mais mieux valait mentionner que cet ex. était lui aussi un assassin, un vrai celui-là. Autant que Coeur de Sang. La chatte beige et taupe n'aurait pas été étonnée que sa cheftaine soit la soeur du défunt chat gris rayé de noir.

La future aspirante en face du bourreau du Clan de la Mort était la preuve vivante de cette union. Cette dernière éclata en sanglots, secouée par la tristesse. Abasourdie, ne sachant comment réagir, bouche grande ouverte, la chatte regarda sa fille pleurer. Celle-ci se blottissa contre les flancs de la mère, mouillant de ses larmes la fourrure color point si particulière à Douceur d'un Soir. Articulant avec peine, Petite Brume répondit :

-Maman, je... je...

Reprenant son souffle, elle continua d'une traite :

-Ce matin, comme je n'arrivais plus à dromir, je suis allée dans la foret. J'ai trouvée une souris, et... Je l'ai tuée. Mais au moment de regarder le cadavre de la petite bête, une sorte de dégoût m'est venu. Mais pas du dégoût pour la proie, c'était contre moi. J'avais l'impression d'être un monstre maman! Je..Je.. J'ai peur de ne pas pouvoir être digne de ce clan de tueurs.

Le visage de la jeune chatte se ferma. Si sa propre fille n'arrivai pas à tuer une souris, cela ne servait plus à rien de rester ici. Mon dieu, cette gamine ne pouvait-elle donc pas réaliser la chance qu'elle avait ? Au lieu de perdre son temps à se faire titiller par un bébé de Bipède, elle vivait en liberté, dans la forêt, sous la protection de la terreur des chats de Clan ! Evidemment, être dans un véritable Clan aurait été mieux, mais en ces temps sombres, mieux valait être du côté gagnant, c'est à dire du côté de celui qui trichait, ne respectant pas les règles et tuant à tout-va. La loi du plus fort, si les chats s'unissaient, se renverserait, mais pour l'instant ils n'étaient pas prêts face à cette éventualité. Ils étaient trop attachés à leurs principes et stupides traditions, les malheureux... Sèche et froide, Douceur d'un Soir répliqua, sermonnant presque sa fille :

- Tu te rends compte de la chance que tu as ? Tu es libre, tu es dans un Clan, rien ne peut t'arriver ! Et si nous basculions de l'autre côté, c'est nous que Coeur de Sang ou Rêve du Passé tuerait ! Qu'est-ce que tu crois, que j'y prends du plaisir à détruire moi aussi ? Il serait temps que tu grandisse un peu ! La souris, elle t'est nécessaire à ta survie et tu dois la manger pour vivre. "Manger pour survivre", tu connais ?

Je plongeai mon regard aigue-marine dans celui de mon enfant, ambre celui-ci :

- Ecoute-moi bien, Petite Brume. Tu n'es pas obligée de tuer les autres chats. Mais si ton chef te demande de faire quelque chose, tu dois le faire. Et si elle te demande de retirer la vie à un chat, alors tu le feras, mais de manière indirecte, de façon à ce que tu n'éprouves aucun remords. A ton avis, le plus coupable, c'est celui qui propose, celui qui ordonne ou celui qui exécute ?

But are you sure ?

La mère avait regardé sa fille durement et ne le regrettait pas. Depuis leur naissance, elle avait cédé à leurs moindres caprices. Mais maintenant que sa fille grandissai et devenait aspirante, elle estimai qu'il fallait mettre les limites qu'elle n'avait jamais osé mettre, celles qu'elle aurait dû fixer depuis le début.

En l'occurence, la jeune chatte bouillonai de rage. Elle avait fait de son mieux pour cacher sa tristesse et sa ranceur à ses enfants, mais à présent elle ne comprenait plus pourquoi elle avait fait tant d'efforts. Ces gamins avaient été sa plus grande erreur, ils lui avaient valu la perte de son compagnon et de ses anciens amis. Elle aurait dû s'en débarrasser aussitôt nés, laisser le Bipède les envoyer vers d'autres familles. Elle aurait gardé sa petite vie tranquille, peut-être perdu son compagnon, mais quelle importance ? Maintenant qu'elle avait des chatons, tous les chats se détournaient d'elle, la classant dans la catégorie "casée avec chatons". Son statut de belle célibataire était loin à présent.

Douceur d'un Soir se rappelait avec délectation leur première rencontre, leurs entrevues de nuits...mais tout cela était fini, elle l'avait tué de sa propre griffe. A ce souvenir, la gorge de la chatte siamoise se serra. Ses dernières paroles n'avaient pas été très élogieuses à son égard. En fait, il avait exprimé ce qu'elle se doutait de ce qu'on pensait d'elle. Une ex-domestique perdue obéissant aveuglément aux ordres d'une sanguinaire. De quoi s'attirer les foudres de n'importe quel chat de Clan. La discrimination ajoutée à ses méfaits tachaient le casier judiciaire autrefois vierge de l'amère bourreau.

Tout de suite, la mère sentit que la fille allait se rebeller contre ses paroles avant même qu'elle n'ait ouvert la bouche, hautaine du haut de ses minuscules pattes, ridiculement petite :

- Le problème n'est pas la souris! C'est ce clan. Je n'ais pas l'intention d'en partir, car tout ce que j'aime est dedans. Mais sache quand même que pour moi, entre celui qui ordone et celui qui exécute, c'est celui qui ordonne le fautif. J'éprouverais toujours des remords. Mais manger pour survivre ne s'applique pas avec les chats. J'arrviverais à surmonter ce sentiment, mais le sentiment enivrant de la soif de sang est tout aussi atroce.

La chatte beige et taupe s'écarta brusquement, les yeux emplis de fureur. Elle ne lui demandait pas de les manger ces chats ! Ne comprenait-elle pas qu'en restant à l'écart tout en faisant semblant d'obéir au chef, elles avaient plus de chances de pouvoir par la suite intégrer un Clan ? Quelle idiote ! Est-ce qu'elle lui avait également demandé d'éprouver la folie de la danse de la torture ? Non plus ! Lui-avait-elle demandé de ressembler à une Coeur de Sang en miniature ? Non et non et non !

- Habituelement, les parents des chats sont fiers lorsque leur petit ramène sa première proie. Mas pourquoi ne sommes nous pas normal? Pourquoi maman?

C'en était trop pour Douceur d'un Soir. D'un coup de patte, elle mit sa fille à terre, l'empêchant de bouger. Dans cette position de dominant-dominé, la chatte du Clan de la Mort était sûre d'avoir attiré l'attention de sa fille. Qu'elle ne le veuille ou non, elle allait devoir voir la vérité en face. A nouveau maître d'elle-même, la mère de l'aspirante répliqua :

- Hé bien, puisque c'est celui qui ordonne qui est en faute, l'est-tu ? Non ! La responsable de tout cela, c'est Coeur de Sang. T'ais-je demandé de ressembler à Belle de Nuit ou à Coeur de Sang miniature ? Non ! Seulement d'obéir pour sauver ta peau. Même si Coeur de Sang me le demandait, je n'irai pas tuer Nuage d'Hiver. Je la cacherai dans un endroit sûr et raconterait des mensonges à la cheftaine. Certes, je la torture, mais je ne la frappe pas. Je lui réplique simplement ce que les chats pensent d'elle. C'est la vérité qui blesse, ne l'oublie pas. De plus, je l'aide à devenir mature. Si elle arrive à s'enfuir, elle deviendra facilement guerrière. Si elle s'est faite attraper par Faucheur d'Âme, c'est parce qu'elle n'était qu'une simple apprentie naïve et stupide, incapable de faire attention ! A présent, c'est déjà une guerrière aguerrie et insensible aux insultes. Ais-je déjà tué quelqu'un juste pour le bon plaisir de Coeur de Sang ? Non.

Des ronflements dans la Ferme s'élevaient, tachant le silence ambiant. Puis d'une voix plus douce, elle répondit indirectement à la question de Petite Brume, relâchant mon étreinte :

- Et féliciations pour ta proie, Petite Brume. A ton âge, j'étais incapable d'en faire autant. N'oublie pas, ma chérie. Chaque personne est unique.

Sorry.

La féline était révoltée, cela se lisait sur son visage. Déchirée, la mère était tentée de la consoler, de s'excuser, mais une voix plus forte emplie de rancune et de haine lui disait de se détourner d'elle. Ou était passé son instinct maternel si poussé ? Envolé ? Sûremment. Ou du moins cela en donnait l'impression. Sur les nerfs, elle sortit des griffes acérées encore rouges de sang frais -signe qu'elle venait de chasser-. On ne la caresse pas impunément à rebrousse-poil, la vieille Douceur d'un Soir...

La novice ferma les yeux : au départ, la bourreau crut qu'elle était exaspérée, mais il n'en était rien. En réalité, elle était sur le point de fondre en larmes. Au lieu d'inquiéter la maman, cette tristesse l'énerva encore plus et elle grogna avec mépris. Et dire que cette gamine croyait pouvoir se rebeller ! Ce n'est pas avec des larmes que l'on change le monde... Si elle voulait agir, elle allait devoir faire énormément d'efforts. Pour réussir dans ce monde de sauvages, il faut d'abord se comporter comme eux et ensuite se retrouver. Règle d'or que Petite Brume ne connaissait pas.

Comme la femelle s'était doutée, la petite se révolta sans précédent :

-Tout ce que tu aimes est là? Tu aimes le sang? Tuer? Si tu veux que tes enfants deviennent des monstres, alors tu as choisi le bon clan. Oui! Tu es en faute dès que tu entres ici! Je ne deviendrais pas comme toi. Je ne serais pas un monstre! Si chaque persone est unique... Pourquoi torturer quelqu'un d'unique ?

La chatte rayée s'assit, manifestement hors-d'état de proférer quelque chose de plus. Une fraction de seconde plus tard, la siamoise l'avait renversée comme une poussière et lui crachait à la figure, littéralement enragée. Ainsi, c'était comme ça que ses enfants la remerciaient pour tout ce qu'elle avait fait pour eux. Elle s'était sacrifiée, corps et âme, pour ceux qu'elle chérissait. Tu parles d'une récompense ! Laissant éclater ses émotions, celles qu'elle contenait depuis des lunes et des lunes, elle poussa un miaulement -presque un rugissement- qui n'avait rien d'humain. Des oiseaux s'envolèrent aussitôt, effrayés. Par nuées, les corbeaux croassèrent bruyamment et formèrent un cercle autour des deux bélligérantes.

Si Douceur d'un Soir avait réellement laissé ses sentiments jaillir, elle aurait égorgé sa fille, ni plus ni moins. Mais elle avait trop de coeur pour cela. Au lieu de quoi, elle commença à pleurer, les larmes coulant sur ses joues, sur son pelage, sur ses pattes. Trop choquée pour dire quelque chose, elle vit passer les secondes, puis les minutes. Après un long silence, elle réussit à parler d'une voix étranglée, si faible qu'on peinait à l'entendre :

- Sans moi tu n'aurais jamais vu le monde...c'est donc cela ma récompense ? Souffrir jusqu'à la fin de multiples blessures ? Être un ensemble de remords et d'amertune ?